Michael Dejozé s’investit dans la coopération transfrontalière depuis près de huit ans. Il est directeur de l’Euregio Meuse-Rhin.
Déjà dans le cadre de mon parcours académique, je me suis intéressé à la criminalité organisée sous ses aspects transfrontaliers. Criminologue de formation, j'ai d'abord travaillé comme chef de projet dans le cadre d'EMROD (Euregio Meuse-Rhin Observatoire de la Délinquance). Ce projet, lancé par l'ancien Gouverneur de la Province de Liège Michel Foret, devait soutenir toute la chaine de sécurité dans la lutte transfrontalière contre la criminalité (organisée). Il réunissait les acteurs policiers, de justice, des autorités administratives et scientifiques autour de problèmes communs dans le but de lancer des actions concertées. Le projet a été couronné de succès car son approche innovante permettait de résoudre des cas dont on n'imaginait par la portée transfrontalière.
J'ai ensuite rejoint la Cellule Fonds Européens de la Province de Liège afin de représenter l'institution provinciale auprès de l'Euregio Meuse-Rhin et de créer des projets avec les acteurs liégeois. Depuis 2016, je suis devenu le directeur de l'Euregio Meuse-Rhin.
En tant que directeur, je gère le bureau de l'Euregio Meuse-Rhin situé à Eupen. Je suis responsable du personnel, des projets, activités et fonds mis en place par et pour notre structure transfrontalière.
Le Groupement Européen de Coopération Territoriale sert à la fois :
- de lien entre les différentes régions partenaires et acteurs politiques. Il permet de déterminer des champs d'actions et des priorités communes afin de faire avancer la coopération dans l'intérêt des citoyens ;
- de lien entre les acteurs de terrain ;
- de facilitateur et de soutien pour les structures transfrontalières (EPICC, EMRIC, PIF, etc.) ;
- d'agence de développement : les citoyens ou organisations nous font part des « barrières » administratives imposées par les frontières et nous les aidons à chercher des solutions par le biais politique ou la création de projets et/ou de structures ;
- d'acteur financier : le GECT crée et gère des fonds visant à soutenir des initiatives (citoyennes) transfrontalières.
Cela n'est effectivement pas toujours facile. Quand des frontières physiques font parfois place à des frontières linguistiques, le rôle de notre organisation est d'autant plus important. Notre bureau facilite les contacts, réunit les différents acteurs autour d'une table et assure des traductions au besoin. Chacun est libre de s'exprimer dans sa langue, ce qui apporte un certain charme.
A côté de l'aspect linguistique, il y a également des différences culturelles qu'il faut connaître et respecter. C'est pourquoi le personnel est plurilingue et possède des compétences interculturelles pour rencontrer les acteurs, modérer les échanges et faire en sorte que chacun trouve son avantage dans la coopération.
Travailler dans l'Euregio Meuse-Rhin signifie jongler avec des structures administratives, politiques et niveaux de pouvoir différents. Par exemple, le Gouverneur de la Province de Liège a des compétences différentes de celui de la Province du Limbourg néerlandais. Les polices des trois pays fonctionnent selon différents systèmes. La Province du Limbourg néerlandais est compétente en matière de mobilité alors qu'en Belgique, il faut des interlocuteurs fédéraux. Avec un diplôme d'infirmière, on ne peut pas réaliser les mêmes tâches en Allemagne par rapport à la Belgique.
Absolument. En voyageant peu de temps, nous rencontrons différentes langues et cultures mais également un passé commun. Nous pouvons littéralement vivre sans frontières et choisir parmi une offre culturelle énorme. Saviez-vous que les citoyens d'Aix-la-Chapelle adorent visiter l'Opéra ou le Théâtre de Liège? Que les Liégeois adorent visiter Maastricht ? Que les germanophones font leurs courses en Allemagne et regardent la télévision allemande?
Le bureau de l'Euregio Meuse-Rhin ne sait certainement pas tout faire. De ce fait, les principales avancées résident dans la création de structures transfrontalières et la solution de problèmes avec celles-ci. La transformation en GECT et notre stratégie 2030 sont des avancées significatives.
Je pense que l'EMR a bien fait de se transformer en GECT. Cette nouvelle forme juridique lui donne nettement plus de marge de manœuvre, un mandat clair pour les Etats membres et une reconnaissance marquée au niveau de la Commission européenne.
En même temps que l'EMR a lancé son processus de transformation vers un GECT, elle a également ouvert la porte aux acteurs et aux personnes ayant des besoins transfrontaliers. Son approche s'est orientée vers la pratique et les acteurs de terrain, un élément qui m'était particulièrement important. De ce fait, nous ne définissons pas les priorités du futur de manière „top-down“, mais en étroite coopération avec les partenaires. Le GECT n'est donc plus une structure isolée mais sert de coupole aux structures transfrontalières.
Les avancées principales de l'EMR se situent dans les éléments palpables pour le citoyen. Voici quelques exemples :
- Sécurité :
Projet « NeBeDeAgPol »: réseau des chefs de police de l'EMR échangeant sur les principaux problèmes de sécurité et constituant des groupes de travail pour des dossiers communs ;
Projet « EPICC »: bureau commun des services de police hébergeant environs 35 policiers des 3 pays et gérant environ 20.000 dossiers par an ;
Projet « BES »: bureau commun de la justice soutenant la coopération (formations communes, échange de bonnes pratiques, etc.) et traitant 3.000 dossiers par an ;
Projet « EMRIC »: bureau commun des services de secours. Grâce à cette initiative, des modus operandi transfrontaliers sont développés, des exercices communs et des formation sont planifiés. Nous comptons actuellement quelques 1.300 interventions transfrontalières par an dans l'EMR.
- Marché de l'emploi:
Nous finançons des conseillers et structures soutenant environ 6.000 travailleurs frontaliers par an dans leurs questions sur les taxes, la sécurité sociale ou encore les pensions. Chaque année, plusieurs centaines de personnes trouvent un emploi de l'autre côté de la frontière.
- Mobilité:
Nous travaillons avec les acteurs de la mobilité pour développer de nouveaux tickets et prévoir des nouvelles alternatives. Nous cherchons à harmoniser le ticketing. Les expériences pilotes se montrent très prometteuses.
- Enseignement
Je suis particulièrement fier de notre fonds pour l'échange scolaire. Celui-ci a été créé début 2019 à la demande de professeurs souhaitant permettre des expériences transfrontalières à leurs élèves. Plus de 1.000 élèves ont déjà pu en profiter.
Ce qui nous importe est que le citoyen reçoive l'aide la plus adéquate et ce, dans les meilleurs délais, peu importe de quel côté de la frontière il se trouve.
La communication est certainement un défi à relever. Il y a énormément d'activités, de réseaux et de projets transfrontaliers à coordonner et faire connaitre. D'autant plus que nous sommes des acteurs de seconde ligne.. En même temps, nous devons montrer aux acteurs politiques, acteurs de terrain et citoyens en quoi réside la plus-value de notre travail.
Un autre défi est la négociation du prochain programme Interreg. La période de programmation actuelle connaît certaines difficultés et nous négocions un programme opérationnel qui se veut proche des acteurs avec un volet pour des microprojets prévu pour des petite initiatives citoyennes. Notons que dans les périodes de programmation I à V, un total de 508.751.375 € ont pu être investis en EMR (Interreg V inclus) !
(cet article a été publié dans le trimestriel "Notre Province" n°88 en décembre 2019)